1982-"The Dreaming"

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“The Dreaming”, de Kate Bush : à l’impossible, l’Anglaise était tenue

En 1982, Kate Bush, malgré le triomphe précoce de “Wuthering Heights” puis le succès de “Babooshka”, n’a pas fini de surprendre. L’encore très jeune femme s’émancipe totalement sur son quatrième album, prenant le contrôle artistique absolu qui guidera désormais sa carrière aussi brillante et inventive que hors norme.

Récemment, le quotidien The Guardian, dans sa série consacrée à la découverte de l’œuvre d’artistes à l’intention des non-initiés, s’attardait sur le cas Kate Bush. Quelle ne fut pas mon heureuse surprise de voir qu’en lieu et place de l’évident (et néanmoins excellent) Hounds of Love le moins célébré The Dreaming était élu meilleure porte d’entrée dans l’univers abondant et varié de l’excentrique surdouée de la pop britannique ! Avec sa photo de pochette aussi énigmatique que belle à encadrer, cet album, loin d’être la pièce la plus accessible de l’Anglaise à l’éclosion précoce, ne cesse effectivement de combler par ses richesses toujours à (re)découvrir, par ses mystères bien gardés. Les plus beaux disques ne sont-ils pas ceux dont le sens complet continue éternellement à nous échapper ?

Sous le charme indéfectible des maniérismes vocaux, acrobatiques et haut perchés de la chanteuse – qui en crispent plus d’un –, ce quatrième album était bien celui de l’émancipation totale pour Kate Bush, à peine âgée de 24 ans à sa sortie. Le fruit d’une conception étalée sur de longs mois. La jeune femme, déterminée et jamais à court d’idées à tester, refusait déjà de se plier à un quelconque calendrier. Installée désormais dans le siège de productrice, usant en douceur la patience des ingénieurs du son qui se succéderaient, elle y explorait le foisonnant kaléidoscope de styles et de sonorités qui se bousculaient dans sa tête bien faite. Inspirée par sa collaboration avec Peter Gabriel sur Games Without Frontiers, elle trouvait dans le Fairlight, le synthé miracle des années 1980, la matière pour explorer les confins de son imaginaire.

Comme toujours chez elle, il n’y a pas deux titres qui se ressemblent, privilège des artistes à la patte si distincte qu’ils peuvent tout tenter sans risquer de se perdre. The Dreaming est un étourdissant catalogue de pistes à emprunter, une succession de mini-comédies musicales aux textes aussi inventifs qu’oniriques, mais aux thématiques bien précises (d’un casse dans les années 1930 au sort des Aborigènes australiens, d’un quasi-rewrite du claustrophobe et schizophrène Shining aux états d’âme d’un soldat du Viêt-cong…), qui lui permettent de puiser dans toutes les nuances de sa voix inouïe. Des sujets lourds traités avec une grâce constante, prétextes à explorer chaque fois un nouveau champ orchestral.

Excentrique mais entraînante pop song au parfum rétro (There Goes a Tenner), explosion rythmée pré-Running Up that Hill (Sat in Your Lap), incantation tribale (The Dreaming), enivrante complainte folk aux accents celtiques (Night of the Swallow)… Kate Bush veut tout essayer, au risque de trébucher, mais retombe toujours sur ses pieds. Un défi qui s’incarnerait dans l’enchanteur Suspended in Gaffa (souvenir d’une rare apparition à la télévision française, chez Drucker), valse déstructurée où l’artiste se voit entravée dans du gaffer, allusion directe à sa situation, à ses interrogations : « Ai-je la force et la capacité de me libérer totalement ? »

La réponse est assurément oui, comme le confirme Houdini, où la chanteuse se projette dans la peau de Bess, la compagne essentielle du prestidigitateur, celle qui, d’un baiser, lui transmettait la clé du cadenas qui le tenait prisonnier. À la fois illusionniste et sa propre libératrice, Kate Bush s’autoriserait désormais tout, en commençant par le triomphe à deux faces de Hounds of Love (pop exquise et suite ambitieuse). D’albums concepts surprenants en retraites domestiques durant de longues années, elle demeure, trente-huit ans après, toujours imprévisible, jamais décevante.

Maxence a écrit:
2) The Dreaming :




Un album qui m’a montré à quel point la bizarrerie pouvait conduire aux miracles.  
Je l’ai écouté à une période de ma vie où je me questionnais beaucoup, et j’ai trouvé en lui les réponses que je cherchais. The Dreaming m’a fait comprendre que nos différences ne devaient pas être refoulées, mais devaient être assumées voire célébrées, car c’est ce qui faisait notre singularité. C’est le premier album expérimental ou vraiment différent que j’ai pu entendre, et je me rappelle comment j’avais été perturbé par cette étrangeté, une étrangeté qui m’attirait malgré tout vers lui. C’est un album aux sonorités surprenantes et imprévisibles, très éloignées de ce que l’on peut entendre habituellement, qui propose une recherche musicale si intéressante et audacieuse ! Les multiples couches sonores présentes sur les pistes conduisent à une explosion d’images et d’interprétations possibles, et à un feu d’artifice de sons qui créent en moi un sentiment d’infinité.
Les explorations électroniques de Kate sur cet album sont fascinantes, car elles me paraissent quasiment imperceptibles, tant elles s'imprègnent bien avec le reste. On n’entend pas de sons de “machine”, froids ou métalliques. Tout me semble ou presque très “humain”, chaleureux, voire tribal. A mon sens, elle parvient à se faire confondre les instruments organiques avec ses nouveaux joujous électroniques, et à composer une musique très intelligente et maline. En effet, les titres, dans leurs résonances et dans leurs instruments, restituent extrêmement bien leurs propos et forment une cohérence parfaite très admirable. C’est parfaitement audible sur “Get out of My House”, où la conjugaison de la voix enragée de Kate et des instruments saccadés et sauvages me donnent l’impression de parcourir une maison biscornue en train de se disloquer sous mes pas, avec des portes qui claquent toutes seules et des murs qui tremblent.

Get out of my House est vraiment mon titre préféré de cet album pour toutes ces raisons.
Je pourrais dire la même chose de l’exceptionnel “Pull out the Pin”, qui, avec cette profusion de sons, convoque dans mon esprit de vieilles images du Vietnam, de jungles sauvages et moites, et de soldats à l’allure déshumanisante. La façon dont Kate Bush elle-même parle de cette chanson rend l’absence de clip ahurissante. C’est pourtant si cinématographique !

Et le caractère expérimental de l’album qui me plaît beaucoup, se retrouve aussi dans ses performances vocales. Alors qu’elle est souvent réduite à sa voix haut-perchée de fée, elle montre avec The Dreaming à quel point elle peut encore aller plus loin que ça. Elle pousse sa voix hors de ses retranchements et voit jusqu’où elle peut la mener. Même si c’est une démarche déjà observable à partir de Lionheart, je pense qu’elle élève sa recherche vocale à un niveau bien plus supérieur sur The Dreaming. Elle vocifère, chuchote, transforme sa voix, la duplique de partout, va dans les très graves, puis subitement dans les très hauts, ouvre sa gorge à des possibilités insoupçonnées. Le premier titre, “Sat in Your Lap”, est un joyeux bordel qui illustre vraiment ce que je veux dire, car ce qu’elle fait de sa voix me stupéfait. “Houdini” est très impressionnant aussi sur le refrain, avec ces cris douloureux d’une maîtrise saisissante. Sur “Leave it Open”, un titre que j’adore, sa voix est même effrayante. Elle est gutturale, vicieuse et énigmatique, et sert d’instrument à part entière à la musique, comme des percussions. On croirait entendre une folle enfermée dans sa cellule, et j’aime quand ses performances l’ammènent à dépasser sa propre personne et à apprivoiser d’autres personnages. Un autre sommet vocal de cet album, est “Night of the Swallow”, mon autre titre préféré de The Dreaming après Get out of my house. L’instrumentation irlandaise est épique et donne envie de parcourir le monde pour surmonter tous les obstacles. La musique nous fait passer de la mer aux cieux, comme dans les paroles qui sont géniales.
The Dreaming est un disque qui m’emmène dans le monde de l’inconscient. Il explore ce qui nous échappe et nous dépasse, et nous montre les aspects les plus sombres de la personnalité humaine, de la dépression à la frustration, en passant par les pulsions de violence et la paranoïa menant à la folie, sans jamais être déprimant et lourd, mais toujours avec optimisme et espoir.
Et avec tout ça, je n’ai même pas cité le phénoménal “Suspended in Gaffa”, cette valse baroque que j’écoute quotidiennement, ou le sublime “All the Love” qui préfigure les voix de “Waking the Witch”, ni le maladroit et amusant “There goes a Tenner”, que j’aime pourtant beaucoup (bien qu’il puisse être un peu inférieur aux autres)...
Le fait qu’il n’ait pas bénéficié d’un succès aussi retentissant que ses précédents albums à sa sortie est pour moi très révélateur de qui est vraiment Kate Bush. Aujourd’hui, le vent à tourné, et son audace folle, son esprit d’indépendance, et son avant-gardisme ont inauguré quelque chose de fort. The Dreaming est indéniablement reconnu, et est très souvent cité par de grands artistes d’horizons différents, prouvant que Kate Bush avait montré la voie et initié un courant, que des oreilles trop peu attentives à l’époque n’auraient pu soupçonner...

Renaud a écrit:Le prix est quand même plus raisonnable, environ 40 €.

Pierre a écrit: Mais cette édition est-elle seulement distribuée via le site ou sera t'elle diffusée dans les magasins comme les vinyles couleur? Je n'ai pas trouvé l'info...

Renaud a écrit:Tu peux le trouver ici aussi, je suppose que d'autres sites le proposeront aussi.